Elliot Erwitt : Un photographe Humaniste

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A Paris le Musée Maillol présente une rétrospective incontournable du photographe Elliot Erwitt, reconnu dans le monde entier pour ses images chargées d’humour et de tendresse. Le génie de cet artiste rayonne par une fine subtilité pour montrer l’humanité dans différentes situations. Après plus de 20 ans depuis ma première rencontre avec le travail d’Erwitt, c’est grâce à cette exposition que j’ai pris connaissance de ses différentes facettes en tant que photographe, plus surprenantes les unes que les autres. Par exemple sa série de photos consacrées aux chiens est amusante et comporte une délicate pointe d’ironie.

Mon premier contact avec les photos en noir et blanc a commencé à l’âge de 9 ans. Grâce à mon père, j’ai pu avoir entre les mains des photos anciennes concernant ma famille. Photos qui datent des années 30 et 40 et qui m’ont permis de connaitre la jeunesse de ma grand-mère, de mon grand-père et des autres membres de la famille. Une famille qui habitait dans une région du Pérou où s’étaient installées plusieurs mines d’argent ce qui a changé la vie de toute une communauté pour le meilleur et pour le pire.

Dans ces photos chargées d’histoire, ma grand-mère apparait toute jeune assise sur une chaise , habillée avec le costume typique de la région (jupe longue , chemise à manches longues et un grand foulard en laine qui entoure ses épaules), elle portait des bijoux en argent (boucles d’oreille et broches). Mon grand-père est debout à côté d’elle, il est habillé avec le costume tailleur que portaient les hommes dans les années 30. Les costumes de l’époque et la façon de regarder l’appareil photo, sans aucune expression, pas de sourire, m’avait beaucoup impressionnée . Mon père me raconte qu’à l’époque se faire prendre une photo dans un studio photographique était une chose très sérieuse et relevait d’un certain statut social.

Avec le temps, je reviens toujours à ces vieilles photos, car la mélancolie qui les entoure m’attire. Des photos qui m’ont servi pour connaitre mieux ma grand-mère et pour nous rapprocher car lors de chaque tasse de thé chez elle , je lui demandais de partager son histoire à partir de ces images. Des photos que je considère comme des bijoux qui ont capturé une époque spéciale de la famille et de la vie d’une ville.

Mon premier regard sur Elliot Erwitt

Une fois à l’université et dans le monde des photos en couleur, l’histoire de la photographie en noir et blanc s’ouvre à moi avec ses principaux représentants comme Robert Doisneau, Robert Capa, Alfred Eisenstaedt, Bill Eppridge et Elliot Wirtt. De chaque photographe, j’ai enregistré dans ma mémoire la photo la plus connu et dans le cas d’Erwitt celle de « l’esplanade du Trocadéro« prise sous la pluie où un couple s’embrasse avec devant eux une personne qui parait s’envoler accrochée à son parapluie.

Cette photo a été un sujet de discussion dans la salle de classe sur la technique utilisée dans cette photo, le fait de reproduire un instant et l’objectif de la photo. L’image a été prise par le photographe en 1987 pour les cent ans de la Dame de fer , une photographie minutieusement élaborée.

Or, j’ai été totalement subjuguée par cette image d’amour à Paris, de joie en pleine averse et de complicité entre les personnages de la photo et le photographe. De ce jour-là en 2000, je n’aurais jamais imaginé que plus tard j’aurais la grande chance de voir une exposition photographique d’ Erwirtt à Paris

Plus loin que le cliché

Mon amour et moi, partageons cet intérêt pour la photographie en noir et blanc et nous essayons d’aller dans chaque exposition dédiée aux photographes de l’époque. Donc, quand nous avons vu dans les médias la publicité sur l’exposition d’Elliot Erwirtt nous ne pouvions qu’être sûrs d’y participer. Un fois passée la porte d’entrée du Musée Maillol où se tient l’exposition jusqu’au 24 septembre 2023, je n’ai pas reconnu le travail du photographe. Il faut comprendre que plus de 20 ans ont passés depuis mes études à l’université.

La première salle intitulée « blanc et noir » a captivé mon regard car sont exposées des images qui reflètent un style de vie très loin de celui d’aujourd’hui. Chacun des personnages dans les photos présente une allure caractéristique qu’Erwitt a su montrer. Alors, j’ai pris mon temps pour apprécier chaque détail des images, le cadre , la composition. Jusque-là, mes attentes ont été remplies. Je me demandais comment je n’avais pas eu plus tôt ce photographe dans mon radar . Pendant que j’essayais de me rappeler , je me suis trouvée soudainement face à face avec cette photographie qui m’avait impressionnée dans mes années universitaires.

« C’est toi ! » dis-je à voix haute submergée par l’émotion. Mon émotion a été bien comprise des visiteurs qui ont tourné la tête vers moi qui osait casser le calme de la salle. Le titre de l’image « 100eme anniversaire de la Tour Eiffel, Paris 1989 » a déclenché une avalanche de souvenirs. Les séries de photos en noir et blanc accrochées dans cette salle représentaient pour moi une tendresse très touchante.

Le lama amoureux a pu interviewer Caroline Landolt, co-commissaire de l’exposition qui affirme que les photos d’Erwitt ont comme sujets privilégiés l’Homme et l’humanité. « Que ce soit un être humain, une mouette, ou évidemment un chien, pratiquement aucune photo d’Erwitt dans l’exposition ne se passe d’une présence vivante. Autrement dit, quasiment toutes les photos de l’exposition comptent un sujet vivant. Par ailleurs la tendresse de ses photos témoigne d’une affection et d’une grande considération pour le genre humain. On pourrait également ajouter qu’il parle couramment anglais, français, italien, ce qui lui permet une large appréhension du monde et des gens ».

Témoin de l'histoire

Erwitt a été aussi correspondant, un travail qui lui a permis d’être présent aux moments importants de l’histoire. De ce temps consacré au photojournalisme on peut apprécier la photo prise d’ un jeune Fidel Castro ou des photos faites en Russie dans l’ancienne URSS. La photo publicitaire est aussi un côté que je ne connaissais pas d’Erwitt. Cependant c’est en exécutant un travail sur commande qu’il a pris une image reprise par divers journaux et magazines aux Etats Unis : « The Kitchen Debate ». Sur la photo on voit la rencontre Richard Nixon et Nikita Khrouchtchev en 1959 lors de l’ouverture de l’ « American National Exhibition » organisée en Russie.

The Kitchen, Elliott Erwitt * Moscow, USSR. 1959
Fidel Castro, 1964. Elliot Erwitt
Marilyn Monroe, 1960. Elliot Erwitt

Selon Erwitt, ce jour-là, il travaille comme photographe pour une marque de cuisines quand soudainement ces deux figures politiques se trouvent face à lui. « Je travaillais sur une mission commerciale sur le salon […], mais j’avais aussi sur moi mon appareil photo privé… Il se trouve que je me trouvais au bon endroit au bon moment […] »*. L’image d’Ewritt montre le langage corporel de Nixon qui pointe son doigt sur la poitrine de Khrouchtchev. Cette photo pour le public américain, symbolise l’opposition des États-Unis face au pouvoir soviétique, mais pour le public russe, représente plutôt une menace venant d’occident.

Ce travail de commande a été l’un de toute une liste , mais l’intéressant chez Erwitt c’est son approche des marques avec un côté humoristique. Il possède la subtilité de parler en images d’une marque sans la montrer de façon directe. Pour Caroline Landolt c’est un style qui le distingue des autres photographes publicitaires de l’époque. « Il y a une dimension très forte de ce que l’on pourrait appeler la « comédie humaine » qui se retrouve dans ses travaux de commande ».

Un photographe pas du tout sérieux

La série de photographies d’Erwirtt dédiée aux chiens m’a énormément surprise .Et spécialement , la façon dont il les a traités seuls ou avec leurs maitres. L’humour et la sensibilité sont présents. Une des photos qui à mes yeux est géniale est celle qui a été prise comme affiche de l’exposition. Il s’agit d’une image que le photographe avait fait sur commande pour une marque de chaussures. C’est l’exemple de la subtilité pour passer un message publicitaire.

Il est impossible de ne pas sourire , et même rire pendant qu’on visite la salle « Dogs ». J’ai appris pendant l’exposition que pour avoir le regard concentré des chiens avec les oreilles en pointe dans les photos, Erwitt avait une petite astuce : faire sonner une clochette. Dans chacune des salles d’exposition, sur les murs on peut lire des phrases du photographe. Il y en a une qui a captivé mon attention : « je prends des photos sérieuses, de temps en temps ». Est-il possible qu’un photographe de son génie ne se soit pas aperçu qu’il représentait une part de l’histoire ?
A ma question la co-commisaire de l’exposition Caroline Landolt réponds :

« S’il ne se prend pas au sérieux et invite parfois (souvent) à l’autodérision et à la démystification, il est extrêmement sérieux dans son travail –( surtout quand il le faut.) Il a beaucoup défendu les droits d’auteur des photographes et a notamment pris d’importantes responsabilités dans le cadre de sa présidence de l’agence Magnum Photos. Il y a une distinction très nette entre sa façon de se considérer photographe et la façon de réaliser son travail de photographe. Il ne veut pas de la dénomination d’artiste par exemple , il a répondu à d’innombrables commandes et a travaillé plus de 70 ans ».

Aujourd’hui à 94 ans, Erwitt a toujours la force de travailler et notamment pour cette rétrospective au Musée Maillol. Selon C.Landolt, il a participé à la sélection des photos et a suivi de près la conception de l’exposition. Une grande chance pour l’équipe des commissaires qui a pu échanger avec cet artiste né en 1928 à Paris et qui a su nous montrer le monde et l’humanité avec une perspective particuliaire et unique.

Mme Landolt, de toutes les photos présentées dans cette exposition laquelle ou lesquelles préférez-vous ?

Il y a bien évidemment celles en noir et blanc de la section « Kids », dans laquelle figure sa « première femme, son premier enfant, et son troisième chat » – selon la formule d’Erwitt. Les nuances de gris et de noir y sont aussi douces et profondes que l’amour que fait régner ce trio. Par ailleurs, la fameuse photo dite du « Débat de cuisine » entre Richard Nixon et Khrouchtchev de 1959 figure aussi sur mon podium. A l’origine, Erwitt avait été missionné par la marque Westinghouse pour prendre des photos de réfrigérateurs au salon de Moscou, quand tout à coup Nixon et Khrouchtchev se présentent sous son objectif dans une mise en scène tout à fait théâtrale politiquement.

Elliot Erwitt, New York City. USA 1953. © Elliot Erwitt / Magnum Photos

J’ai fait la demande à l’agence Magnun pour interviewer Erwitt, mais malheureusement la réponse de l’agence a été négative. Au moins j’aurais essayé . J’aurais rêvé pouvoir parler avec lui et lui poser plein de questions et lui raconter l’histoire de cette jeune étudiante péruvienne qui est tombée amoureuse de son travail. Si vous êtes à Paris ne laissez pas passer cette exposition, je vous assure que vous sortirez avec un sourire émerveillé pour le travail artistique de ce photographe. Au vu du succès rencontré par le public, l’exposition est prolongée jusqu’au 24 septembre au Musée Maillol

https://museemaillol.com

*https://www.magnumphotos.com/newsroom/politics/elliott-erwitt-behind-the-image-the-kitchen-debate/

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